Art et technique
1. L'opposition classique entre l'Art et la technique
Art |
Technique |
- Activité libérale (qui a sa fin en elle-même).
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- La technique est une activité mercenaire (rémunérée).
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- L’œuvre d’art est inutile (n’a pas besoin d’avoir une fonction).
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- Le produit technique est utile.
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En art, le concept de l’œuvre ne préexiste pas à l’œuvre. Le projet,
l’idée, s’il y en a, ne détermine pas la production de l’œuvre et
l’œuvre n’est pas évaluable esthétiquement avant sa réalisation.
Cf. Alain, Système des beaux-arts, «L’artisan est artiste par éclair quand en faisant, il trouve mieux qu’il n’avait pensé. »
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- Le projet détermine l’exécution : le projet, l’idée, est techniquement évaluable
Cf. Alain, Système des beaux-arts : « Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. »
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- = Il n’y a pas de recette pour réussir un chef-d’œuvre. « Tout art peut s’apprendre, mais non tout l’art. » Valéry.
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- La technique est un savoir-faire qui s’apprend.
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- La contemplation est essentielle à l’œuvre. Il n’y a pas d’œuvre sans public. Elle est faite pour être appréciée.
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- L’action est essentielle au produit technique (il est fait pour servir).
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- Seul l’original est œuvre d’art, pas sa copie
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- La copie a autant de valeur que l’original.
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Voir aussi la distinction que fait Hannah Arendt entre les produits de l'action, les objets technique et les oeuvres d'art.
2. Relativité de ces oppositions
Absolu/Relatif
- L’art est aussi une activité mercantile. L’idée de gratuité de l’œuvre masque le statut de producteur de l’artiste.
Dans notre société, l’artiste comme le technicien est un prolétaire qui
n’a pour toute richesse que sa force de travail. Le produit de ce
travail s’achète, il est coté sur le marché de l’art.
- Selon
les deuxième, troisième et quatrième groupes de remarques ci-dessus,
l’architecte serait plus près du technicien que de l’artiste et le
potier plus près de l’artiste que de l’artisan.
- Il n’y a pas d’art sans maîtrise d’une technique. (Il faut apprendre à jouer d’un instrument, apprendre à dessiner...)
- L’évolution
des arts est étroitement liée à l’évolution des techniques (nouveaux
outils, nouveaux matériaux, nouveaux procédés, nouvelles disciplines...)
- L’opposition
entre la contemplation artistique et l’action technique n’a pas
beaucoup de sens, en particulier en architecture. « L’art ne
saurait être exclusivement soumis aux règles d’un esthétisme gratuit.
Par son essence, il est fonctionnel. » Le Corbusier, La Charte d’Athènes.
- La principale différence entre un original et une copie n’est pas la valeur esthétique mais la valeur marchande.
Conclusion
S’il
y a encore une distinction pertinente entre art et technique, c’est
peut-être celle proposée par Etienne Souriau : l’art produit d’abord
des existants qui n’ont pas besoin d’autre justification que d’être
eux-mêmes. C’est pourquoi l’art est scandaleux pour la pensée
technicienne : il s’enferme en lui-même, ne vise que lui-même. Ainsi,
quand vient la question de préférer telle œuvre plutôt que telle autre,
on n’a pas le secours de la fonction pratique pour donner une réponse,
même approximative.
Mais au moment même où
l’art semble auto-subsistant, autosuffisant, sa fonction sociale
éclate. L’art est le produit d’une société, de ses valeurs, de sa
culture. Il en est à la fois le reflet, la justification et
l'éventuelle subversion.