Alain
L'artiste et l'artisan
Système des Beaux-Arts, tome I, 7.
Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de
l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution,
c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'oeuvre souvent, même dans
l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux
qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste,
mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans
une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une
maison, est une oeuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine
bien réglée d'abord ferait l'oeuvre à mille exemplaires. Pensons
maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il
ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à
l'oeuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il
fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient
ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son
oeuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut
que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même.
Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais
il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au
sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le
pinceau. (...) Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'oeuvre et y
reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière,
à faire une autre oeuvre.
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