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Albert Einstein
mathématique - expérience
Référence
Comment est-il possible que la mathématique, qui est un produit de la pensée humaine et indépendante de toute expérience, puisse s'adapter d'une si admirable manière aux objets de la réalité ? La Raison humaine serait?]elle donc capable, sans avoir recours à l'expérience, de découvrir par la pensée seule les propriétés des objets réels?
À cette question, il faut, à mon avis, répondre de la façon suivante : "Pour autant que les propositions de la mathématique se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et pour autant qu'elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité". La parfaite clarté sur un sujet n'a pu devenir bien commun que grâce à cette tendance en mathématique qui est connue sous le nom d'axiomatique. Le progrès réalisé par l'axiomatique consiste en ceci qu'elle sépara soigneusement la partie logique et formelle du contenu objectif ou intuitif. D'après l'axiomatique, la partie logique et formelle constitue seule l'objet de la mathématique, mais non pas le contenu intuitif ou autre qu'on lui ajoute.
Examinons de ce point de vue un axiome quelconque de !a géométrie, par exemple le suivant : par deux points de l'espace, on peut toujours tracer une ligne droite et l'on n'en peut tracer qu'une seule. Comment cet axiome doit-il être interprété dans le sens ancien et dans le sens moderne?
Interprétation ancienne - Chacun sait ce qu'est une droite et ce qu'est un point. Que cette connaissance provienne de la faculté de l'esprit ou de l'expérience, de la coopération de toutes les deux ou d'ailleurs, le mathématicien n'est pas obligé d'en décider mais abandonne cette décision au philosophe. Fondé sur cette connaissance, qui est donnée avant toute mathématique, l'axiome susnommé (comme tous les autres axiomes) est évident, c'est-à-dire qu'il est l'expression d'une partie de cette connaissance a priori.
Interprétation moderne - La géométrie traite d'objets qui sont désignés par les mots droite, point, etc. Une connaissance quelconque ou intuition de ces objets n'est pas supposée ; la seule supposée est la validité de ces axiomes, qui doivent être également conçus comme purement formels, c'est-à-dire dépourvus de tout contenu intuitif ou accessible. Ces axiomes sont des créations libres de l'esprit humain. Toutes les autres propositions géométriques sont des déductions logiques des axiomes (qui doivent être conçus au point de vue nominaliste). Ce sont les axiomes qui définissent en premier lieu les objets dont traite la géométrie. Et c'est pourquoi Schlick dans son livre sur la Théorie de la connaissance, a très justement regardé les axiomes comme des définitions implicites.
Cette conception des axiomes, qui est représentée par l'axiomatique moderne, débarrasse la mathématique de tous les éléments qui ne lui appartiennent pas, et dissipe ainsi l'obscurité mystique qui enveloppait auparavant les fondements de la mathématique. Une telle exposition épurée rend de même évident que la mathématique comme telle est incapable d'énoncer quoi que ce soit ni sur les objets de la représentation intuitive ni sur la réalité. Par les mots point, droite, etc., il ne faut entendre dans la géométrie axiomatique que des concepts schématiques vides de contenu. Ce qui leur confère du contenu n'appartient pas à la mathématique.