Le Loup et l'agneau
Jean de la Fontaine
Fables de La Fontaine, Lito, illust. Serge Hochain
La raison du plus fort est toujours la meilleure
:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté -
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d'elle,
Et que par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'agneau, je tète encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point.
- C'est donc quelqu'un des tiens:
Car vous ne m'épargnez guère.
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.