[C'est Socrate qui parle. Il rapporte une conversation.]

Tu sais donc que les teinturiers, quand ils veulent teindre de la laine en pourpre, choisissent, parmi les laines de diverses couleurs, exclusivement la blanche ; qu'ensuite, ils la préparent en la soumettant à un long traitement, afin qu'elle prenne au mieux l'éclat de la couleur ; qu'enfin, ils la plongent dans la teinture. Et ce qui est teint de cette manière est indélébile : le lavage, fait avec ou sans dissolvant, n'en ôte pas la couleur ; par contre, tu sais ce qui arrive quand on procède autrement …
je sais, dit-il, que la couleur passe et prête à dérision.
Conçois donc, repris-je, que nous avons, nous aussi, dans la mesure de nos forces, procédé à une opération semblable quand nous avons choisi les guerriers et que nous les avons éduqués par la musique et la gymnastique. Nous n'avions pas d'autre intention : nous tenions à ce qu'ils prennent une teinture des lois aussi belle que possible, afin que, grâce à leur nature et à une éducation appropriée, ils aient, sur ce qui est redoutable, et sur le reste, une opinion indélébile qui ne puisse être effacée par ces dissolvants terribles que sont le plaisir - plus puissant dans son action que tout alcali (1) ou toute lessive - , la douleur, la crainte et le désir - plus puissants que tout dissolvant. C'est cette force, qui préserve l'opinion droite et légitime concernant ce qui est ou non à craindre, que j'appelle le courage.

 

(1) Un alcali est une substance chimique décapante. Ex. : l'ammoniaque.

 

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