Wittgenstein
Remarques philosophiques, VI, 58
(1929 - 1930)
Ludwig Wittgenstein, Remarques philosophiques, VI, édition posthume de Rush Rhees, trad. Jacques Fauve, Gallimard, 1975.
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58. On pourrait adopter la re-présentation suivante : Si moi, L. W., j'ai mal aux dents, cela s'exprimera par la proposition : " Il y a mal aux dents. " Le cas se produit-il qui s'exprime par la proposition " A a mal aux dents ", on dira " A se comporte comme L. W. quand il y a mal aux dents ". De façon analogue on dira " Cela pense " et " A se comporte comme L. W. quand cela pense ". (On pourrait imaginer une tyrannie orientale dans laquelle le langage est ainsi constitué que le tyran est le centre de celui-ci et que son nom se trouve à la place de L. W.) Il est clair que cette façon de s'exprimer, en ce qui touche à son univocité et à sa compréhensibilité, est de valeur égale à la nôtre. Mais il est tout aussi clair que ce langage peut avoir comme centre n'importe qui.
De tous les langages qui ont comme centre les divers hommes, langages que je comprends tous, celui qui m'a comme centre a une place à part. Il est particulièrement adéquat. Comment puis-je exprimer cela ? Autrement dit comment puis-je, par des mots, re-présenter ce privilège de façon correcte ? Ce n'est pas possible. Car si je le fais dans le langage dont je suis le centre, le point de vue exceptionnel de la description que fait ce langage dans ses propres termes n'est pas sujet d'étonnement, alors que, selon le mode d'expression d'un autre langage, mon langage n'occupe pas la moindre position privilégiée. - La position privilégiée réside dans l'application et ce n'est pas parce qu'on décrira l'application qu'on parviendra à exprimer cette position privilégiée ; en effet la description dépend du langage dans lequel elle est donnée. Quant à savoir quelle description désigne ce que j'ai en vue, cela dépend à nouveau de son application.
Seule l'application distingue réellement entre les langages ; abstraction
faite d'elle, tous les langages sont d'égale valeur. - Tous ces langages
ne re-présentent qu'une chose unique, incomparable et ne peuvent
re-présenter rien d'autre. (Les deux façons de les considérer
conduisent forcément au même résultat : la première,
selon laquelle ce qui est re-présenté n'est pas une chose parmi
d'autres, n'admet rien qui lui soit opposable; la seconde, selon laquelle
je ne puis formuler le privilège de mon langage.)
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