Peut-on dire que la politique n'a pas pour fin la morale mais la réussite ?
Analyse des termes du sujet
Du grec " polis ": cité, la politique, d'une façon générale, désigne les actions ou les plans d'action qui concernent les affaires publiques et le pouvoir (son obtention, sa conservation, son exercice). Quelle est la fin de la politique? C'est-à-dire quel est son but, quels sont ses objectifs?
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La morale est l'ensemble des règles de conduites et des valeurs fondamentales qui, dans une société, déterminent les comportements à adopter ou au contraire à éviter compte tenu de ce que l'on considère comme désirable pour l'individu ou le groupe. La morale est donc ce qui concerne le Bien en général et le bien publique en particulier. |
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Mais qu'est-ce que la réussite ?
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Peut-on dire que la réussite (ou la morale) est l'objectif de la politique ? Se poser cette question, c'est s'interroger à la fois sur le sens de cette affirmation, sur sa légitimité et sur la réalité des faits. |
On pourrait croire que le but de la politique est d'assurer le bien public. En ce sens, son but serait sinon la morale, du moins moral.
Mais d'un autre côté, la politique vise-t-elle autre chose que le pouvoir en lui-même et pour lui-même, réussir à l'obtenir, et le conserver ? Et si oui, est-il possible de concilier en politique efficacité et moralité ?
Il est intéressant de noter que quels que soient ses objectifs, la politique ne peut pas ne pas avoir aussi comme fin de les atteindre. Clairement, si le sujet sous-entend que le fait d'avoir pour fin la réussite s'oppose au fait d'avoir pour fin la morale au point de les considérer comme deux objectifs exclusifs l'un de l'autre, c'est qu'il faut comprendre " réussite " en un sens plus étroit. Réussir serait ici le fait d'avoir obtenu et conservé le pouvoir. Faire de la réussite la fin de la politique, ce serait donc faire du pouvoir et de son exercice la fin en soi de la politique plutôt qu'un simple moyen pour faire advenir un ordre social meilleur.
La politique a pour fin la morale : l'idéalisme de Platon
Politique et morale peuvent être liées de deux façons :
C'est cette conception de la politique qui est celle de Kant. Kant dit en effet que " l'être humain est un animal qui a besoin d'un maître " car en l'absence de maître, il est incapable de se conformer à l'impératif moral. Mais pour pouvoir établir ce règne, le maître lui-même doit être soumis à l'impératif moral.
Kant pense donc que la morale est la fin visée par la politique.
Cette conception de la politique remonte à Platon. Platon dans La République dit que le but de l'État est de faire régner la Vertu, c'est-à-dire d'instaurer une société juste. Une société juste selon Platon est une société dans laquelle sont respectées quatre qualités fondamentales :
o La sagesse (amour et recherche du savoir).
o Le courage (force morale).
o La tempérance (le fait de dominer ses passions).
o La justice (Pour Platon, la justice sociale = à chacun son rôle selon ses capacités).
Mais pour organiser un tel État, il faut que les gouvernants eux-mêmes possèdent ces qualités d'où la thèse platonicienne des " philosophes rois " :
S'il n'arrive pas, ou bien que les philosophes deviennent rois dans les états, ou bien que les rois ne deviennent philosophes et que ainsi le pouvoir politique et la philosophie se rencontre sur la même tête, alors il n'y aura pas de trêve aux maux dont souffrent les états. Platon |
Cette conception de la politique n'est-elle pas utopique?
La politique à pour fin la réussite : le réalisme politique de Machiavel
Machiavel dans son livre Le Prince se demande " quelle est l'essence des principautés, comment on les acquiert, comment on les maintient et pourquoi on les perd. "
Pour répondre à ces questions, il étudie les faits et conclut à l'indépendance de la politique par rapport aux valeurs morales. L'important en politique est d'obtenir le pouvoir et de le conserver, et pour cela, tous les moyens sont bons.
L'art politique selon Machiavel, est au-delà du bien et du mal. Une faute politique est plus grave qu'un crime moral. Et le critère de la faute est l'échec. En effet, rien n'est pire en politique, pour Machiavel, que l'insécurité qui accompagne la faiblesse de l'État. Seul un pouvoir fort peut assurer la paix, qui est la condition de tout ordre moral. Et pour établir et maintenir la paix, tous les moyens sont bons.
A bien examiner les choses, on trouve que, comme il y a certaines qualités qui semblent être des vertus et qui feraient la ruine du prince, de même il en est d'autres qui paraissent des vices et dont peuvent résulter néanmoins sa conservation et son bien être (...) Que le prince songe donc uniquement à conserver son état et sa vie. S'il y réussit, tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l'apparence et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Machiavel, Le Prince |
Cependant, quand Machiavel dit " Que le prince songe uniquement à conserver sa vie et son état ", il fait plus que simplement affirmer que de fait la politique vise la réussite, il fait de la réussite un devoir pour le politicien. Autrement dit, réussir est ce que le politicien doit faire. Mais faire ce que l'on doit faire, c'est agir moralement, et avoir pour fin l'accomplissement de son devoir, c'est avoir pour fin la morale. Ainsi, en faisant de la réussite le devoir du politicien, Machiavel fait de la réussite un impératif moral. La politique aurait donc pour fin la morale en dépit de l'immoralisme des politiciens!
La théorie de Platon était utopique mais celle de Machiavel est paradoxale. Peut-être que la relation entre la politique, la morale et la réussite est plus complexe que ne le suggère la formule " la politique n'a pas pour fin la morale mais la réussite ".
Réévaluation des rapports entre politique, morale et réussite
Politique et réussite
" Réussir " en politique peut avoir deux sens :
Sans réussite au sens (2), il n'y a pas de réussite au sens (1). On pourrait imaginer une politique qui serait systématiquement inefficace, soit parce que son programme serait irréalisable, soit parce que ses techniques pour gagner ou conserver le pouvoir seraient irrémédiablement suicidaires. Mais peut-on imaginer une politique délibérément conçue pour être inefficace par ses partisans eux-mêmes ? Une telle politique serait absurde et, probablement, pas même considérée comme une politique. En ce sens, même si la réussite n'est pas, en elle-même, la fin de la politique, elle en est au moins un moyen.
Politique et morale
(1) Du point de vue de la réussite au sens de " réaliser son idéal ", tout idéal politique suppose une certaine conception de la morale.
Prenons par exemple l'idéal démocratique. La démocratie est un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Cela suppose, du point de vue moral, que les individus adoptent une certaine " manière d'être ensemble " fondée sur le principe de l'égalité. Par ailleurs, cela suppose un engagement mutuel des gouvernants et des gouvernés par lequel les gouvernants doivent être représentatifs des gouvernés et les gouvernés doivent participer activement à la vie politique (en particulier dans l'exercice du droit de vote et le choix des gouvernants).
De même, l'idéal fasciste reposait sur une certaine conception de l'ordre social fondé sur le principe de l'obéissance inconditionnelle au Duce. Mussolini voulait modeler un nouveau type d'individu dont la devise aurait été " croire-obéir-combattre " et dont les valeurs auraient été l'héroïsme, la discipline, l'abnégation et l'action.
Donc, avoir pour but la réussite au sens (1), c'est aussi avoir pour but une morale correspondante, c'est-à-dire encourager certains modes d'interaction entre les citoyens et établir certaines règles de conduite.
(2) Du point de vue de la réussite au sens d'obtenir et conserver le pouvoir, morale et politique sont également liées, non du point de vue des fins, mais du point de vue des moyens.
Pour réussir au sens (2), les politiciens peuvent négliger certaines valeurs morales généralement acceptées (cf. Machiavel), mais le conformisme moral peut être également payant. Pensez au fait d'assister à la grand-messe à Notre-Dame pour le président de la République française, ou à l'importance de la " vie de famille " pour les candidats à la présidence aux États-Unis.
En général, il semble assez conforme à la "vérité de la chose", pour reprendre l'expression de Machiavel, de dire que la morale des politiciens est essentiellement un opportunisme. C'est dire que si un politicien a le choix entre le succès ou la morale, il choisit en général le succès.
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